On avance à pas feutrés de peur de les réveiller. Ce sont eux qu’on voit d’abord. Au loin, allongés comme dans un dortoir en plein ciel. On s’approche intrigués. Ils sont là, disposés ensemble dans l’enceinte du cloître. Ils sont des centaines. Qui ? Les petits « dormeurs », enveloppés d’un linge mi- lange mi- linceul, bébés fragiles qui nous disent que tout ne tient qu’à un fil, celui de la vie qui s’affirme ou se défausse, selon. Au seuil de l’existence, qui sommes nous sinon les vivants les plus à la merci des autres qui soient ? Des vulnérables.
Le cœur se serre un peu, le promeneur désinvolte ne peut plus passer son chemin et aller voir plus loin si l’air est plus léger. Alors il regarde encore.
C’est à dire mieux. Et comme il fait bien de prendre ce temps qui s’impose : Tout autour des dormeurs, se tiennent, assis comme s’ils étaient debout, plantés entre ciel et terre, souriants et concentrés, les Bienveillants.
Ils veillent en silence . Ils sont une douzaine, installés là pour la nuit des temps, semble-t-il. Et leur présence pure autour des vulnérables nous fait l’effet d’une transfusion. On en est certain maintenant, ils vont vivre.
C’est ce que nous dit avec sa poésie bien à elle, Annie Samuelson qui les a sculpté tous et un à un, en pensant à chacun. Elle s’est faite, par cette œuvre au long court, passeur de vie.
Et qu’on ne s’y trompe pas. Si l’envie vous prend de vous identifier ou aux uns ou aux autres, prenez garde à la simplicité des choses. Car on comprend en quittant ce lieu de calme apparent, que nous sommes tous le veilleur de quelqu’un et le vulnérable d’un autre. Les âges de la vie ne nous en donnent-t-ils pas une belle et indiscutable illustration ?
On quitte le cloitre moins paisible qu’on le croyait, mais plus vivant. Avec au cœur l’espoir que veillera sur nous au moment de nos vieux jours, une belle âme comme celle d’Annie Samuelson.
Hélène Jousse, écrivaine et sculptrice