Pas de cadre, pas de repère, pas de point fixe. Des sphères pour la première fois ainsi exposées en quantité. Soixante œuvres en plâtre à l’exception de quelques unes en bronze, ponctuations plantées là pour tenir l’espace.
Il y en eut une première il y a cinq ans. La plus volumineuse. Elle fut le déclic. Pourquoi ? Parce que.
Expliquer l’art, c’est courir le risque de l’anéantir. Cette grossesse en engendra d’autres. Des œuvres rondes dont la particularité réside dans l’absence de limite, de frontière, de fin. C’est proprement infini.
Des sphères parfaitement sphériques. Aucune ne renvoie à la géosphère trop imparfaite de la Terre. On craint de les voir vaciller puis rouler, mais non. Des sphères parfaitement stables car lestées de matériaux lourds et bien calés, enveloppés dans du plâtre, dissimulés à l’intérieur comme en secret.
Elles leur doivent leur équilibre et donc une partie de leur grâce.
Nous nous trouvons là où ces monolithes ont chu.
Des bas-reliefs comme une extension du domaine de la sphère, fragments mis à plat. Un gris morcelé qui nous est inconnu, comme venu d’un autre monde, un outre-gris. Ils portent tous des cicatrices puisqu’il y a des failles en toutes choses, c’est même par là que la lumière s’insinue, Léonard Cohen l’a dit ou écrit ou chanté, c’est tout un.
Les unes ont des noms de constellations. Pandore, Adrastel, Amalthée, Hydre, Bubble nebula… Les noms des autres sont issus de la géographie lunaire : Lac des tourments, Golfe de la rosée, Mer des nuées, Lac de la solitude, Marais du sommeil…
De la sculpture faite poésie.
Pour cette exposition, Annie Samuelson a composé une sonate pour deux instruments, le très rond et le tout plat. Certaines œuvres sont rehaussées d’un éclatement en terre cuite ou de têtes greffées. Autant de visages de vies et de mort où la douceur et la sérénité se mêlent au contraste de tonalités, une musique de silences dont Archimède eut fait une constante.
Regardez bien ce qui est à la fin. Deux œuvres tendues par du fil d’étain qui tisse sa toile en se mêlant au ruban d’acier. L’une ronde, l’autre carrée. Des surfaces planes avec des repères. Des têtes devenues des masques dans des jeux d’ombre. Les deux encadrées. Avec les bas-reliefs, on sent que ces toiles sans peinture vont l’entraîner désormais vers un ailleurs où la liberté sera plus grande.
Entre le commencement et la fin, l’œil aura assisté à ce discret miracle qu’est l’unité retrouvée d’une artiste.